Pour ou contre une réforme du quotient familial ?

04 | 04 | 2012

Publié par CFDT Finances | Classé dans : Impôt sur le revenu et CSG, Publications CFDT

L’analyse et les positions de la CFDT Finances sur le quotient familial, un débat qui fracture la société française.

Le débat sur le quotient familial appliqué à l’Impôt sur le revenu est apparu en janvier 2012 suite à la publication d’une note de la Direction du Trésor de Bercy pour le Haut conseil de la famille. Cette note qui met en évidence les injustices du quotient familial a donné lieu à une passe d’armes entre le gouvernement, la majorité et l’opposition sur fond de campagne électorale présidentielle.

Le débat est budgétairement important. La perte de recettes due à l’application du quotient fiscal avoisine les 13 milliards d’euros, l’impôt sur le revenu rapportant aux caisses de l’Etat à peu près 50 milliards.

Des conceptions divergentes se sont opposées, les uns accusant les autres de vouloir réformer, voire supprimer le système du quotient au détriment des familles des classes moyennes. Qu’en est-il réellement ?

Le quotient familial, mode d’emploi

Le quotient familial permet d’atténuer la progressivité de l’impôt en prenant en compte le nombre de personnes composant le foyer fiscal, le ou les parents, les personnes à charge, essentiellement les enfants mineurs, et, sur option, ceux âgés de 18 à 21 ans, et jusqu’à 25 ans pour ceux poursuivant des études ainsi que les enfants invalides quelque soit leur âge. Chaque parent bénéficie d’une part, le premier et le deuxième enfant d’une ½ part chacun, le troisième et les suivants d’une part entière chacun. Un couple marié ou pacsé bénéficie donc de 3 parts avec deux enfants, de 4 avec trois enfants, etc.

Les personnes célibataires, divorcées, séparées ou veuves qui vivent seules (parent isolé) bénéficient d’une demi-part supplémentaire pour le premier enfant, soit 2 parts pour un enfant, 2,5 pour deux enfants, 3,5 pour trois, etc. D’autres demi-parts sont attribuées sous conditions mais elles ne concernent pas la charge des enfants.

Pour déterminer l’impôt, il faut diviser le revenu imposable (R) du foyer par le nombre de part (N) : on obtient le quotient R/N. Ce quotient renvoie à la formule applicable donnée par le barème. Attention : le barème donne l’impôt brut avant application, notamment, de la décote et du plafonnement des demi-parts pour enfants. Pour l’imposition des revenus de 2011 (valable aussi pour l’année précédente), le barème est le suivant :

Un célibataire sans enfant (1 part) avec un revenu imposable de 20 000 € applique la formule 3 (tranche à 14 %), un couple sans enfant (2 parts) avec un revenu de 40 000 € applique la même formule 3 (R/N = 40 000 / 2).

Un couple avec trois enfants (4 parts) dont le revenu imposable est de 80 000 € applique lui aussi la formule 3 (R/N = 80 000 / 4).

Si ce dernier couple au revenu imposable de 80 000 € n’a pas d’enfant à charge (2 parts), il est imposé dans la tranche à 30 % (formule n°4) au lieu de 14 %.

Le système atténue la progressivité. En conséquence, il favorise les familles nombreuses aisées et les couples dont l’un des conjoints perçoit des revenus confortables et l’autre est sans revenus ou doté de revenus très inférieurs. Plus les revenus sont élevés, plus l’avantage retiré est important. Il est toutefois limité pour les demi-parts accordées au titre des enfants grâce au plafonnement.

A l’opposé, la moitié des familles qui sont non imposables profitent peu ou pas du tout du système.

Le plafonnement des demi-parts

L’avantage fiscal a été plafonné en 1981 pour les demi-parts accordées aux enfants. Pour 2011, l’avantage maximum est de 2 336 € pour les deux premiers enfants. Pour le troisième et les suivants, l’avantage maximum est doublé à 4 672 €.

La plupart des contribuables qui ont des enfants à charge ne connaissent pas le montant de l’avantage dont ils bénéficient à ce titre, ni si il est ou non plafonné. En effet, celui-ci n’est pas indiqué sur l’avis d’imposition. Pour connaître le montant de cet avantage, il faut consulter un barème qui tient compte de ce plafonnement et de comparer sa situation avec son nombre de part avec le montant d’impôt dû sur deux parts ou une part pour les concubins ou parents isolés.

La différence constitue l’avantage fiscal, c’est lui qui subit le plafonnement.

CFDT Magazine publie tous les ans le barème de l’impôt.

Exemple : un couple avec deux enfants ayant un revenu imposable de 73 674 € (salaires déclarés de 81 860 € soit plus de 6 fois le Smic) bénéficie d’un avantage fiscal pour ces deux enfants de 4 672 €, etc.

Le quotient familial français (uniquement utilisé par le Luxembourg, le Portugal et la Suisse) n’est pas le seul système permettant de prendre en compte les charges familiales. Les autres pays ont choisi soit des abattements, une certaine somme étant retirée du revenu imposable, soit des crédits d’impôt par enfant, ou ont combiné les deux mesures avec souvent une imposition séparée des parents.

Il faut rajouter que le quotient familial appliqué aujourd’hui en France n’a pas toujours existé et a donné lieu à de nombreux débats tout au long du siècle dernier.

Un siècle de débat

Le débat sur le quotient a commencé en 1914, année de la création de l’impôt sur le revenu selon un barème progressif. Au système du quotient, bien que proposé par le Sénat, a été préféré un système de déductions forfaitaires, en raison d’un coût élevé pour les finances publiques. Cela a provoqué la colère des associations familiales et des mouvements populationnistes de l’époque parlant de « lente et tragique diminution de la natalité dont on ne trouve aucun exemple dans le monde ».

Le forfait a été la règle jusqu’en 1944. A la Libération, dans la foulée du programme du Comité national de la Résistance (CNR), la Chambre très à gauche adopte le système du quotient sans limite (Loi du 31 décembre 1945) voulant prioriser la famille et la natalité après la défaite de 1940.

Thomas Piketty (Les hauts revenus en France au XXe siècle, Grasset 2001) s’étonne que la Gauche ait voté cette mesure alors qu’elle n’aura de cesse de la contester par la suite. Les partis plaident pour une réduction du nombre des parts (par exemple 0,25 au lieu de 0,5), les syndicats proposant (déjà !) des réductions d’impôt uniformes pour tous.

Le gouvernement Mauroy instaure, en 1981, le plafonnement de l’avantage des demi-parts pour les enfants sans toutefois remettre en cause le système. Le plafond fixé a permis de ne pénaliser que les familles très aisées. Selon une étude de l’Insee sur l’impôt sur le revenu de 1990 (Economie et statistique n°248 de novembre 1991), ce plafonnement n’a concerné que 2,4 % des foyers chargés de famille (imposables ou non).

L’avantage fiscal du quotient familial, croissant avec le nombre d’enfants et le niveau des revenus, a été plafonné afin de réduire des injustices devenues criantes.

En l’absence de plafonnement, un couple ayant deux enfants (3 parts) avec un revenu imposable de 300 000 € bénéficierait en 2011 d’un gain d’impôt de 10 486 € alors qu’il est plafonné à 4 672 €.

Un couple ayant trois enfants (4 parts) avec un revenu imposable de 1 000 000 € bénéficierait d’un gain d’impôt de 31 425 € alors qu’il est maintenant plafonné à 9 344 €, etc.

Le quotient prend-il en compte le coût de la vie ?

En tenant compte de la situation de la famille, la loi considère que le montant de l’impôt est calculé sur les revenus perçus corrigé par les charges financières entrainées par le nombre de personnes composant le foyer. Or, pour évaluer le niveau de vie des ménages, on ne peut s'en tenir à la consommation par personne. Les besoins d'un ménage ne s'accroissent pas en stricte proportion de sa taille. Lorsque plusieurs personnes vivent ensemble, il n'est pas nécessaire de multiplier tous les biens de consommation (en particulier, les biens de consommation durables, logement, voiture, appareils ménagers, etc.) par le nombre de personnes pour garder le même niveau de vie. Par ailleurs, un enfant en bas-âge entraine moins de frais qu’un adolescent.

Aussi, pour comparer les niveaux de vie de ménages de taille ou de composition différente, l’Insee utilise une mesure du revenu corrigé par unité de consommation (UC) à l'aide d'une échelle d'équivalence :

  • 1 UC pour le premier adulte du ménage
  • 0,5 UC pour les autres personnes de 14 ans ou plus
  • 0,3 UC pour les enfants de moins de 14 ans.
Une personne vivant seule compte pour 1 UC, un couple sans enfant 1,5 UC, un ménage avec deux enfants de plus de 14 ans 2,5 UC, etc.

Sans surprise, le quotient familial ne reflète pas le niveau de vie réel dans la prise en charge des enfants surtout pour les familles nombreuses.

L’impôt sur le revenu surévalue le coût que supportent les personnes vivant en couple par rapport à celles imposées séparément et le coût engendré par la charge des enfants surtout à partir du troisième enfant.

Natalité et quotient familial

Les défenseurs du quotient familial lui attribuent le bon taux de la natalité française comparé aux autres pays qui n’ont pas ce système.

Les spécialistes sont sceptiques. En effet, le montant annuel des dispositifs d’aides s’élève à près de 100 000 milliards d’euros, le quotient ne représentant que 13 milliards et, répétons-le, dont sont exclus une grande partie des familles non imposables.

La natalité est plutôt favorisée par les allocations familles, les crèches, etc., sachant que peu de contribuables connaissent réellement le montant qu’ils retirent du quotient familial. Le quotient est un élément de la politique familiale, certainement pas le plus juste et le plus pertinent.

Le quotient conjugal

Le débat s’est surtout focalisé sur le quotient familial, prise en compte des enfants à charge, plus rarement sur le quotient conjugal.

Le système français combine deux quotients, le familial et le conjugal. Ce dernier consiste à faire masse des revenus des deux conjoints et à en soumettre la somme au barème progressif divisé par deux parts.

Si les revenus des conjoints sont à peu près identiques, l’effet est neutre : l’impôt résultant du couple avec deux parts est identique à la somme de l’impôt que chacun acquitte sur la base d’une part (cas des concubins). Il en est tout autrement s’il existe une différence importante. Pour les revenus aisés, l’avantage fiscal peut atteindre 13 357 €.

Dans l’exemple du tableau ci-contre, si Dominique et Frédérique vivent ensemble et que seul l’un d’eux perçoit des revenus, ils ont intérêt à se marier ou se pacser pour payer moins d’impôt.

Si le gain en impôt est important pour les hauts revenus, il n’est pas négligeable pour les revenus moyens. Les comparaisons sont plus délicates pour les bénéficiaires de la Prime pour l’emploi (PPE) et les impositions qui sont réduites par la décote (impôt inférieur à 878 €).

Cela est-il juste ? La plupart des prélèvements sont individualisés (CSG, TVA, successions, impôts locaux, etc.), seuls l’impôt sur le revenu et l’ISF sont basés sur les revenus et la fortune du couple.

Les principales critiques contre le quotient conjugal visent le fait qu’un couple n’est pas confronté aux mêmes dépenses qu’une personne seule (voir paragraphe précédent), et qu’il maintient les femmes hors du marché du travail.

Il faut rappeler le contexte d’après-guerre. Le quotient conjugal a été créé en 1945, une époque où le mariage était la règle et les épouses majoritairement confinées au foyer. En outre, le mari était juridiquement le chef de famille et il était communément admis que « l’épouse était à charge ».

Depuis, le mariage n’est plus le passage obligé pour vivre ensemble, la notion de chef de famille a disparu et le nombre de femmes sans travail par choix s’est considérablement réduit. Il est également reproché au quotient familial d’entretenir l’idée que l’épouse n’a pas intérêt à travailler. Il est vrai que le revenu de son travail, en raison de la progressivité du barème, est taxé directement dans la tranche marginale à laquelle est soumis le foyer.

Si, par exemple dans les cas du tableau ci-contre, l’épouse reprend une activité pour un salaire annuel de 20 000 € imposable, son revenu sera amputé de 40 % (cas n°1), 30 % (cas n°2) et 14 % (cas n°3). Imposée seule, son impôt ne représenterait que 7,2 % de son salaire.

Les autres pays comparables à la France pratiquent l’imposition séparée des conjoints mais accordent des abattements ou des crédits d’impôt si le conjoint n’a pas, ou peu, de revenus. En Belgique, il est attribué de manière fictive 30 % des revenus professionnels nets imposables du conjoint qui travaille à celui qui ne bénéficie pas de revenus professionnels sans pouvoir excéder 9 280 €. Ce qui revient à pratiquer un abattement de 30 % sur le principal revenu.

Equité verticale ou horizontale

Les défenseurs du quotient tel qu’il est, invoquent l’équité horizontale, ceux qui veulent le réformer, l’équité verticale.

L’équité horizontale vise à accorder un avantage aux chargés de famille par rapport à ceux qui n’ont pas d’enfant sans tenir compte des revenus.

L’équité verticale consiste à redistribuer les revenus des individus, des couples et des familles ayant des revenus élevés vers les familles moins favorisées.

L’équité horizontale s’applique, par exemple, aux allocations familiales, le même montant est accordé par enfant quels que soient les revenus des parents.

En revanche, le quotient familial actuel, en accordant plus aux revenus élevés, ne pratique ni une équité horizontale, ni une équité verticale. Il s’agit plutôt d’une redistribution à l’envers. Les 13 milliards d’euros que représente le coût fiscal du quotient familial ne sont pas partagés équitablement puisque l’avantage est proportionnel à la richesse des parents et plus de la moitié des familles, aux revenus trop faibles pour être imposables, n’en bénéficient pas.

Le système du quotient actuel considère qu’un enfant de « riches » coute plus cher qu’un enfant de « pauvres ». Cela est vrai sans nul doute, les dépenses pour les enfants varient selon les moyens des parents. Pour autant, la collectivité doit-elle en tenir en compte en accordant des réductions d’impôt proportionnelles aux revenus des parents ?

Il faut réformer le quotient familial !

La CFDT s’est toujours battue pour plus d’égalité. C’est la raison pour laquelle elle souhaite remplacer le quotient familial par des crédits d’impôts uniformes par enfants.

Cette revendication a été réaffirmée au congrès confédéral de Tours en 2010. Le syndicat des Finances de Loraine est monté à la tribune pour défendre cette proposition en ces termes :

« Avec le quotient familial, on aide beaucoup plus les familles favorisées. Pas étonnant si, depuis des années, on déplore que la proportion dans les universités et dans les grandes écoles des enfants d’ouvriers et des classes moyennes est faible alors que celle des enfants de cadres supérieurs est écrasante ?

Si le quotient familial n’est pas responsable de tout, les inégalités qu’il entraine ne sont plus supportables

.

En fait, le quotient familial est le seul système qui fait augmenter les aides aux familles en fonction des revenus des parents.

Imagine-t-on des prestations familiales qui augmenteraient en fonction des revenus des parents ?

Non, bien sûr. Et d’ailleurs, c’est tout le contraire puisque près de la moitié des prestations familiales sont accordées sous conditions de ressources. Pour les prestations familiales, soit on donne la même chose par enfant, c’est le cas des allocations familiales, soit, pour d’autres prestations, on donne plus au revenus les plus bas, c’est-à-dire l’inverse total du quotient familial.

D’ailleurs, quand on examine les impôts, on s’aperçoit que pour la taxe d’habitation, les abattements pour enfants sont identiques quelle que soit la taille de la maison ou de l’appartement. Il en est de même des majorations pour enfants dans les réductions et crédits d’impôt ».

Le congrès a très majoritairement voté en faveur de cette réforme du quotient familial.

La CFDT n’a pas chiffré le montant des crédits d’impôt. Elle souhaite que cela s’inscrive dans un large débat démocratique qui englobe l’ensemble des aides aux familles et aux enfants.

La dernière réforme du quotient date de 1981, on peut donc prendre le temps nécessaire d’en débattre sereinement.


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